Chers amis,
La Torah nous enseigne dans Ki tessé qu’un homme récemment marié doit consacrer la première année de son union à réjouir son épouse. Il est même dispensé de ses obligations militaires, pourtant essentielles à la défense d’un pays en guerre. Quel message la Torah veut-elle nous transmettre à travers cette priorité donnée à la vie conjugale et à la joie du couple ?
Nous lisons dans le Deutéronome (24, 5) – Sidra Ki tessé : « Quand un homme prendra une femme nouvellement mariée, il n’ira pas à l’armée et aucune charge ne lui sera imposée ; il sera exempt pour rester chez lui un an, et il réjouira la femme qu’il a épousée ». Cela paraît de prime abord être une simple disposition pratique. Mais en vérité, ce précepte contient une profondeur anthropologique, psychologique et spirituelle qui a retenu l’attention des maîtres de toutes les générations. Rachi, fidèle à sa méthode, en souligne le sens littéral : la Torah demande à l’homme de demeurer auprès de son épouse et de la réjouir, de la préserver de la solitude au moment le plus fragile de leur union. Ibn Ezra, dans une veine proche, met l’accent sur la nécessité de créer un lien solide dès la première année, car si cette base est précaire, la maison elle-même ne tiendra pas. Ramban, quant à lui, lit dans cette mitsva une reconnaissance lucide en filigrane de la fragilité des débuts conjugaux. C’est un temps d’adaptation mutuelle, de découverte, où il faut protéger l’émergence de l’amour et ne pas disperser le jeune couple dans les charges collectives. Le Séfer Ha’Hinoukh reprend cette idée dans un registre éducatif : la Torah veut éduquer l’homme à la responsabilité affective et sociale, car la joie partagée la première année devient le ferment d’une union qui se prolongera dans la durée.
Les commentateurs plus modernes ont élargi la perspective. Samson Raphaël Hirsch rappelle que le mariage n’est pas seulement une affaire privée mais qu’il fonde la cohésion nationale : un couple heureux, équilibré, contribue à la vitalité morale d’Israël davantage qu’une armée puissante. Ne’hama Leibowitz insiste pour sa part sur l’attention concrète que la Torah porte aux besoins affectifs de la femme. La mitsva oblige le mari à se tourner vers l’autre, à faire de la joie de son épouse un devoir sacré, ce qui témoigne, dit-il, de l’extraordinaire modernité de ce commandement. Rav Kook élève encore davantage la réflexion : la joie de l’épouse n’est pas seulement une émotion humaine mais un signe de la présence divine dans le couple. La maison conjugale devient un sanctuaire miniature, un espace où se révèle la Chekhina.
Les sciences humaines contemporaines confirment avec d’autres mots cette sagesse ancienne. La psychologie considère en effet la première année de mariage comme une étape déterminante, à la fois lune de miel et phase d’ajustement. C’est le temps où l’on apprend à conjuguer deux existences, à composer avec les différences, à établir des rituels communs. La Torah, avec une intuition remarquable, protège cette étape en libérant l’homme de ses obligations militaires et publiques, afin qu’il consacre son énergie à construire l’intimité et la sécurité affective. Cela répond au besoin fondamental d’attachement et de stabilité, qui sont les fondements de toute vie psychique équilibrée.
D’un point de vue sociologique, le commandement se révèle presque révolutionnaire. Dans les sociétés antiques, la priorité allait souvent à l’effort de guerre et aux autres charges collectives. La Torah affirme au contraire que la force d’un peuple ne se mesure pas uniquement à ses soldats mais aussi à la solidité de ses foyers. Un État ne tient que si les familles tiennent. La première année de mariage devient ainsi un enjeu politique et social : protéger le couple, c’est protéger la nation.
Enfin, sur le plan spirituel, ce texte a une résonance unique. La Torah ne se contente pas d’interdire au mari de partir à la guerre : elle lui commande positivement de réjouir son épouse. La joie, qui pourrait sembler relever du domaine privé, devient ici une mitsva. Il s’agit de montrer que le mariage est une création divine, une alliance sainte, et que sa réussite passe par le bonheur de chacun des conjoints. La première année devient une sorte de sanctuaire temporel, une période consacrée à l’émergence de l’amour, où la joie partagée reflète quelque chose de la lumière divine. En réjouissant son épouse, l’homme ne fait pas seulement acte de bonté : il instaure dans son foyer une dimension sacrée, il élève leur union à la hauteur d’un partenariat avec Dieu.
Ainsi, ce précepte, en apparence pratique et limité, embrasse toutes les dimensions de l’existence. Il dit quelque chose de la psychologie de l’homme et de la femme, de la société et de ses priorités, de la spiritualité et de la présence divine dans la vie intime. En un seul verset, la Torah dessine la carte complète d’un bonheur conjugal à la fois humain et sacré, et elle inscrit dans la mémoire d’Israël une vérité universelle : la joie de l’autre est le fondement de toute maison durable.